Peu après avoir commencé à rédiger ces lignes, il est vite devenu évident qu’il y avait beaucoup trop à dire à ce sujet pour en faire un article qui serait d’une longueur acceptable. En conséquence, ceci sera le premier d’une série d’articles sur nos systèmes de mouvement et de combat
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les jeux de stratégie 4X sont, plus souvent qu’autrement, au tour par tour. Tout d’abord, soyons honnêtes, c’est beaucoup plus simple à coder pour le multijoueur quand le temps ne s’écoule pas librement : il n’y a généralement pas besoin de synchronisation en direct entre les environnements locaux et le serveur, et le ping n’est jamais un problème (et ça, c’est BEAUCOUP de travail qui peut être évité). Deuxièmement, il y a de nombreux avantages de gameplay, notamment que le jeu au tour par tour est simple à comprendre. Jouer de manière séquentielle est une façon de donner un sens au chaos de situations complexes. Cela permet au joueur de se concentrer sur la situation unique dans laquelle il se trouve et de suspendre le temps pour réfléchir à sa prochaine action.
Quelques problèmes du tour par tour
Cependant, les jeux au tour par tour ont aussi quelques défauts. L’ordre des tours peut avoir un impact massif sur le jeu, et même sur les chances individuelles de victoire d’un joueur : par exemple, aux échecs, le taux de victoire du joueur blanc oscille généralement entre 52 et 56%. Similairement, il peut être assez frustrant de jouer directement après un négociateur très compétent dans un jeu de commerce comme les Colons de Catane, car la plupart du temps, les gens auront déjà échangé avec lui juste avant votre tour. De même, si vous avez déjà été attaqué par un allié traître dans Civilization, cela ne fait jamais plaisir de savoir qu’il a remporté la guerre parce qu’il a joué en premier après la déclaration de guerre et a bombardé la moitié de vos villes avant même que vous ne puissiez réagir.
Un autre problème notable des jeux au tour par tour : ils sont lourds, et les temps morts peuvent être importants. Toute personne ayant déjà été assise autour d’une table de jeu de société sait de quoi je parle : quand ce n’est pas votre tour… il n’y a généralement pas grand-chose à faire à part prendre une gorgée et plaisanter un peu. Cela peut être amusant dans certains contextes, tant que vous êtes en bonne compagnie. Cependant, dans les jeux vidéo multijoueurs, ce genre de temps mort n’est généralement pas acceptable pour la plupart des joueurs. Les gens veulent jouer au jeu, pas attendre que ce soit leur tour 78% du temps.
Alors, que peut-on faire pour résoudre ces problèmes ? Dans le cas des jeux 4X, la principale zone d’interaction entre les joueurs est souvent le combat entre factions et, plus généralement, comment les unités se déplacent et interagissent entre elles. Il existe plusieurs façons de s’attaquer à ces problèmes :
- Faire un jeu solo. Cela ne pose généralement pas de problème s’il y a de petites incohérences tant qu’un seul joueur humain joue à la fois, parce qu’on peut généralement tout mettre sous le tapis du “ça se passe entre les tours”. Ozymandias ou le mode campagne des jeux Total War en sont de bons exemples.
- Abandonner complètement l’idée du tour par tour et opter pour le temps réel. C’est faisable si la progression est vraiment lente, ce qui permet au joueur de se concentrer sur un nombre limité de choses à la fois (pensez à Stellaris ou Europa Universalis, par exemple)… mais cette solution ramène tous les autres problèmes des jeux en temps réel mentionnés précédemment.
- Mettre en place des mécanismes de compensation, que ce soit pour la simultanéité ou l’équité. Par exemple, dans de nombreux jeux de société, les joueurs qui ont un avantage significatif en raison de l’ordre des tours commencent avec moins de ressources pour compenser leur avantage. Dans les jeux en ligne, les longs temps morts sont souvent résolus en introduisant une fausse simultanéité aux tours, où les joueurs interagissent tous et modifient l’état du jeu en même temps : cela pose d’autres problèmes, car cela viole l’un des avantages fondamentaux du genre, à savoir que vous pouvez jouer à votre propre rythme. De bons exemples de ce type de mécanismes se trouvent dans les succès récents du genre : les jeux Civilization, Old World ou Humankind.
- Ignorer les problèmes et accepter le fait qu’un jeu a des temps morts importants et peut être un peu injuste. Cela peut convenir pour des jeux principalement joués en multijoueur par e-mail ou en hotseat. La série Heroes of Might and Magic en est un bon exemple.
- Vraiment rendre les tours simultanés. Autant que je sache, cela n’a pas été fait de manière très réussie jusqu’à présent (n’hésitez pas à faire des recommandations si vous connaissez un jeu qui le fait bien, d’ailleurs!)
Cette dernière solution est celle que nous explorons actuellement pour Almanach. C’est une manière d’avoir les avantages des jeux au tour par tour séquentiels (profondeur de la stratégie, jouer à son propre rythme, simplifier des situations qui seraient complexes en temps réel), sans certains de ses problèmes (problèmes d’ordre des tours, longs temps morts). Pour qu’un jeu soit vraiment simultané, les actions des joueurs pendant leur tour ne peuvent pas affecter l’état du jeu : en essence, les joueurs donnent des ordres à exécuter plus tard, à un moment précis où les ordres de tous les joueurs sont exécutés simultanément. Alors pourquoi est-ce qu’il n’y a pas plus de jeux avec tours simultanés? Il y a deux raisons principales.
Premièrement : cela rend la conception beaucoup plus compliquée, et il n’y a pas beaucoup d’exemples de jeux pour s’inspirer. On ne peut pas simplement concevoir les règles d’un jeu et ajouter la simultanéité en après coup; c’est une fonctionnalité fondamentale du jeu, et elle doit être prise en compte dès le départ du processus de conception. Par exemple, pensons aux échecs, qui est un jeu relativement simple en termes des actions disponibles pour le joueur (essentiellement, déplacer une pièce à la fois). On ne peut pas simplement dire aux deux joueurs d’écrire secrètement leur coup et de les jouer ensuite en même temps, car il y a plein de nouveaux cas où les règles actuelles des échecs ne sont tout simplement pas définies. Que se passe-t-il si les deux joueurs décident de déplacer une pièce dans la même case en même temps? Si un pion se déplace en diagonale pour prendre quelque chose qui n’est plus là? Si les deux joueurs sont en échec simultanément? Même si vous parvenez à définir ce qui se passe dans tous les cas particuliers, le jeu est-il toujours amusant?
Deuxièmement : séparer l’assignation d’ordres de leur réalisation effective prive le joueur de retours d’information immédiats, ce qui mine légèrement le concept de simplicité derrière les jeux au tour par tour. Les jeux séquentiels peuvent avoir un impact sur l’état du jeu à chaque action que le joueur prend: si vous ordonnez à une unité de se déplacer d’une case à une autre dans Civilization ou Old World, l’unité se déplace, et votre action suivante doit composer avec le fait que cette unité est maintenant sur la nouvelle case. Cela ne peut pas se produire en jeu simultané, car l’état du jeu ne peut pas changer pendant le tour d’un joueur. Comment communiquez-vous au joueur qu’il a donné un ordre, s’il n’est pas immédiatement exécuté ? Comment gardez-vous le jeu lisible si un joueur donne 3, 4 ou 12 ordres simultanément ?
Mouvements simultanés dans Almanach
Dans Almanach, les unités se déplacent sur une carte composée d’hexagones, assez similaire à d’autres jeux du genre comme Civilization V&VI, Old World ou Humankind. Le terrain peut influencer le déplacement (vous ne pouvez pas traverser des falaises ou des étendues d’eau, par exemple), et la position de vos troupes aura une forte influence sur l’issue d’un combat.
Alors, comment peut-on donner des ordres simultanés dans un tel contexte ? Idéalement, ces ordres doivent être faciles à donner, à mémoriser et à modifier. Avec ceci à l’esprit, jetez un coup d’oeil à ce gif :
Essentiellement, les manipulations que vous devez faire sont similaires à d’autres jeux : sélectionner un groupe d’unités avec un clic gauche, puis donner un ordre avec un clic droit. Maintenir un clic droit enfoncé permet de vérifier le chemin que prendront les différentes unités du groupe. La différence réside dans le fait que l’ordre n’est pas exécuté immédiatement lorsque le clic droit est relâché : vous pouvez changer d’avis et donner un ordre différent à tout moment avant de terminer votre tour, qui remplacera alors le précédent.
Une fois un ordre donné, une flèche reste visible sur la carte et les unités concernées se déplacent vers la pointe de cette flèche, pour vous aider à vous rappeler où chacun va. Il y a bien sûr encore quelques problèmes avec ça, notamment avec le placement des unités à la pointe des flèches (tel que visible à la fin du deuxième gif), mais dans l’ensemble, nous sommes assez satisfaits du déroulement général.
Prochaine étape : comment des unités de factions différentes interagissent-elles les unes avec les autres? Nous répondrons à cette question et à bien d’autres dans le prochain article de cette série 😛
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